Discours prononcé par Joseph Finkelsztajn lors de l'inauguration de la plaque au nom de ses parents

le Lundi 28 novembre 2022, à 11h

devant le 55, rue St Antoine 75004 Paris

Il y a deux ans, j’ai demandé à la Mairie si mes parents pouvaient avoir un lieu de mémoire public à leurs noms.

Aujourd’hui, devant vous, je suis heureux et fier de voir ce projet se réaliser. Car cette plaque au nom de mes parents, ici, au cœur du Marais, est une reconnaissance publique de l’histoire des centaines de juifs ashkénazes rescapés du génocide juif, qui ont vécu dans ce quartier à partir des années 50.

Je remercie d’abord la copropriété de l’immeuble, qui a voté à l’unanimité pour ce projet.

Mille mercis à la Mairie de Paris et son personnel dévoué, en particulier Céline Aveline qui m’a accompagnée tout au long de ce projet.

Bien sûr, de tout cœur, à Ariel Weil et Laurence Patrice, les élus qui ont permis cet événement symbolique !

Merci pour la présence du Grand Rabbin Kaufman, de la synagogue de la Place des Vosges, où ma mère allait, car c’est la synagogue des déportés!

Je vous remercie tous, sincèrement, qui êtes venus ce matin, pour ce moment historique.

Qui étaient mes parents?

Mon père Henieck est né dans un village de Pologne, près de Varsovie.

Au début de la guerre, il a 21 ans. Pendant toute la guerre, il sera un combattant.

Il se retrouve, comme 600 000 Juifs, dans le ghetto de Varsovie.

Il se fait passer pour Polonais et travaille pendant des mois dans une usine. Après un contrôle de la Gestapo, il se retrouve dans un train en direction de Treblinka.

Là, symbole de son énergie à vivre, avec d’autres camarades, il ouvre la porte du train qui l’emmène à la mort, et s’enfuit avec d’autres juifs libérés. Il se cache alors dans la forêt, et cherche à rejoindre la résistance polonaise. Découvrant que celle-ci tue aussi les juifs, il s’enfuie et vit seul pendant des mois dans la forêt, et avance à la rencontre des forces russes.

Il devient alors agent du NKVD, les services secrets soviétiques, avec pour mission de rechercher les collaborateurs pronazis, ukrainiens et polonais, pendant une année, jusqu’à la défaite des nazis.

A la fin de la guerre, il se retrouve seul: toute sa famille, ses sept frères et sœurs, tous mariés, avec leurs enfants, tous ont disparus dans les camps.

Il retrouve une cousine plus jeune, ma mère, et se marie avec elle.

Ma mère Génia est née à Varsovie. Au début de la guerre elle a 13 ans.

Son père meurt lors des premiers bombardements sur Varsovie, marquant le début de la 2e Guerre Mondiale. Sa mère est déportée à Treblinka, Génia elle, s’est cachée dans une armoire pendant la descente de la Gestapo.

Son frère, âgé de 18 ans, est un combattant, lui aussi! En contact avec la résistance polonaise, il introduit des armes dans le ghetto, réussit à sauver ma mère en la faisant sortir du ghetto juste à la veille de l’insurrection, et combat jusqu’à la mort contre les nazis.

À partir d’avril 1943, Génia se cache dans des familles polonaises, et est obligée de changer sans arrêt de lieu d’habitation, pour éviter les dénonciations des habitants, et les nazis.

Pendant l’insurrection, elle voit le ghetto en flamme, loin devant elle, le visage en larmes…

Après la guerre, elle se retrouve seule, toute sa famille a disparu.

Après son mariage avec Henieck, elle voulait alors faire des études d’avocat, mais l’antisémitisme polonais, très violent, l’oblige à quitter le pays.

Sur le chemin vers la France, ils se retrouvent emprisonnés pendant des mois à Berlin par les soviétiques, dans les mêmes geôles que les nazis.

Arrivés en France, une nouvelle vie commence. Ils sont bien accueillis par leur nouveau pays. Ils doivent faire n’importe quel travail pour vivre, alors mon père devient tailleur en confection pour dames, et Génia l’aide dans ce travail.

Ils travaillent dur, parfois 16 heures par jour, comme des centaines d’autres juifs ashkénazes installés dans le Marais.

Leurs amis du quartier sont des survivants comme eux, parlent yiddish et discutent beaucoup politique: la politique a remplacé la religion.

Imaginez leur vie, dans cet appartement au 55, rue St Antoine, à travailler dur, vivre, et avoir deux enfants qu’ils élèvent du mieux possible, et économiser et se sacrifier pour eux.

Mon père, et j’en suis fier, était un libre penseur : il n’adhérait à aucune religion, ni à aucune idéologie. Il lisait beaucoup, en français et en yiddish, et appréciait beaucoup la littérature française. Il était très réservé, et silencieux sur son passé.

A partir des années 80, ma mère Génia s’est mise à écrire des poèmes sur son vécu. En 1986, elle édite un recueil de poèmes «Le Cri du ghetto» qui obtient un prix de poésie à la Mairie de Paris: elle en sera très fière, toujours. Elle témoigne ensuite sur son passé, dans des soirées poésie, dans des journaux, au lycée Charlemagne aussi, et dans le film que j’ai réalisé «la Saga des Finkelsztajn». Elle participe aussi à des émissions radio.

C’était toute sa vie, une militante de la mémoire, du « plus jamais ça» jusqu’à la fin. A 86 ans encore, elle a témoigné, avec une mémoire si précise, devant une salle pleine, au Mémorial de la Shoah.

Puis elle s’est battue aussi dans des associations, pour le retrait des Carmélites d’Auschwitz dans les années 80, et pour la commémoration de la Shoah dans la communauté et en France, avec Simone Veil et d’autres: son espoir s’est réalisé! Elle répétait toujours: vous, les jeunes générations, il faut se battre pour la liberté, toujours et encore.

Alors mes parents Génia et Henieck Finkelsztajn, sont un exemple de ces juifs qui ont réussi à échapper à l’enfer, et ont combattu toute leur vie dans l’ombre pour survivre, après avoir perdu tous leurs proches.